samedi 2 septembre 2023

INTERNATIONAL Crépuscule des Dieux : la mort sans surprise et sans gloire des leaders du groupe Wagner

INTERNATIONAL Crépuscule des Dieux : la mort sans surprise et sans gloire des leaders du groupe Wagner Crédit photo : PLATEL / Wikimedia Commons Pour de nombreux observateurs des événements survenus en Russie au cours des derniers mois, la mort d'Evgueni Prigojine lors d'un crash aérien le 24 août, deux mois après l'échec de sa mutinerie contre les autorités militaires russes et de sa « marche pour la justice », n'a pas été une surprise. On a plutôt été surpris que le flamboyant leader du groupe Wagner soit non seulement resté en vie après sa rébellion, mais qu'il ait ensuite rencontré Vladimir Poutine et repris ses activités en Afrique. Des activités poursuivies par Prigojine jusqu'à la veille de sa mort, selon une reconstitution du Wall Street Journal résumée par Le Point. Si le Kremlin a vigoureusement nié toute implication dans la chute de l'Embraer Legacy 600 à bord duquel se trouvait Prigojine, cela n'a pas convaincu la majorité des commentateurs spécialisés, d'autant que le gouvernement russe lui-même n'exclut pas l'hypothèse d'un « crime prémédité ». Pour ceux qui connaissent la longue tradition d'assassinats politiques en Russie, la seule question qui vaille est de savoir si l'ordre de liquider Prigojine est venu directement du président russe ou de l'intérieur des forces armées. Comme l'a noté Fiona Hill, biographe de Poutine et ancienne conseillère à la Maison Blanche, il existe une certaine symétrie entre le crash du 24 août et l'abattage d'avions de l'armée russe par les forces de Wagner le 24 juin ; pour Fiona Hill, la manière dont Prighozin a été éliminé suggère un acte de vengeance de l'armée de l'air russe. Il convient de noter qu'Evgueni Prigojine n'a pas été le seul dirigeant de Wagner à être tué le 24 août, mais que le crash a également entraîné la mort du cofondateur et chef opérationnel du groupe, Dmitri Outkine. Contrairement à l'homme d'affaires et ex-detenu Prigojine, Outkine avait commencé sa carrière en tant qu'officier des services de renseignement russes. Devenu ensuite mercenaire, il avait acquis une certaine notoriété au sein des « Forces slaves » en Syrie, combattant pour le compte du président syrien Bashar-al-Assad. Selon le Journal officiel de l'UE, Outkine a personnellement ordonné la torture à mort filmée d'un déserteur dans la region de Homs en juin 2017, anticipant des actes analogues de la part du groupe Wagner pendant la guerre en Ukraine. Fervent admirateur du Troisième Reich qui avait l'habitude de signer ses documents « SS » et qui portait des tatouages nazis sur son cou, c'était Outkine qui donna le nom « Wagner » au groupe en honneur du compositeur fétiche d'Hitler. Certains pensent que Vladimir Poutine a manqué de discernement politique en favorisant la montée de son ancien « cuisinier » Prigojine – une créature qui s'est échappée en quelque sorte à son créateur. Presque tous s'accordent néanmoins à dire que la position du président russe s'est considérablement renforcée depuis le 24 août. Son désir de reprendre le contrôle sur des structures paramilitaires potentiellement dangereuses est clair : deux jours après la mort de Prigojine, Poutine a signé un décret stipulant que les soldats de ces formations doivent désormais faire un serment d'allégeance à la Russie et « respecter de manière sacrée la Constitution russe ». L'enterrement de Prigojine s'est par ailleurs déroulé dans la discrétion, dans l'absence de Poutine mais avec un important dispositif de sécurité au cimetière, comme pour décourager toute manifestation subversive de la part des « wagnériens » les plus irréductibles. Dans un entretien pour CNN, le politologue Abbas Gallyamov, qui écrivait les discours de Poutine dans les années 2000, voit néanmoins un certain signe de faiblesse dans sa volonté d'absorber ce qui reste du groupe Wagner et donc de le dissoudre en tant qu'entité quasi-autonome. Gallyamov note que Wagner avait été utile à Poutine lors de la phase d'expansion russe en Ukraine, mais beaucoup moins lors des opérations défensives menées à l'heure actuelle. Se débarrasser de Prigojine serait donc une admission de la fin des grandes opérations offensives russes. L'avenir du groupe Wagner reste incertain pour l'instant. Spécialiste des conflits armés non-traditionnels auprès de la Brookings Institution, Vanda Felbab-Brown affirme qu'on a eu tendance à surestimer l'importance de Prigojine au sein du groupe, dont les activités lucratives – en particulier en Afrique – pourraient bien continuer sous une autre forme. Surtout étant donné que les contrats avec les chefs d'état ont été signés avec le groupe Wagner plutôt que Prigojine en personne. Vanda Felbab-Brown pense également que Wagner pourrait encore exister à moindre échelle à côté d'autres formations militaires privées, plus facilement contrôlables pour Moscou que l'empire de Prigojine. Il semble pourtant évident que le Kremlin ne permettra pas l'essor d'un chef aussi charismatique (et ambitieux) que l'auteur du putsch avorté du 24 juin 2023, qui restera gravé dans les annales de l'histoire militaire de la Russie comme un de ses épisodes les plus déroutants. Peter Bannister

LA JALOUSIE DES GENS